Nous avions l’intention de rentrer à la fin de la semaine
prochaine afin d’accomplir notre devoir de citoyen, toutefois, le
temps devient incertain pour quelques jours. Si bien que nous allons
plier demain.
Néanmoins,
il serait regrettable de ne pas écrire un article sur la
bourrine vendéenne (chaumière),
cette maison
bâtie en terre et couverte en roseaux. Faisant appel, dans sa mise
en œuvre, à des techniques issues de pratiques anciennes, la
bourrine étonne par l’ingéniosité qu’ont su développer ses
constructeurs pour s’adapter à un milieu hostile. Habiter dans le
marais de Monts revenait à subir les intempéries hivernales et les
inondations qui, jusque dans la seconde moitié du XXe siècle,
isolaient le marais durant plusieurs mois.
On
ne peut évoquer la construction des bourrines sans porter un regard
sur leurs couvertures végétales. Cependant l’examen des murs en
terre crue révèle un mode constructif original dans le marais qui
serait à rapprocher des techniques de construction en bauge
observées, entre autres, dans la région de Rennes et dans les
marais du Cotentin et du Bessin.
Depuis
le XVIIe siècle, le terme bauge est utilisé pour décrire une
technique spécifique de construction en terre qui est distincte de
celle du pisé, de l’adobe et du torchis. À
l’examen des constructions présentes dans l’ouest de la France
et des mentions dans la littérature, on peut définir la bauge comme
une technique d’apprêt de la terre crue qui, mélangée à de
l’eau et des fibres végétales, acquiert d’indéniables qualités
plastiques ; sa mise en œuvre s’effectue par assises
successives sans l’aide de coffrage ni d’aucun autre support.
C’est la technique
dite du bigôt.
Le
sol du marais de Monts est constitué de bri (terre argilo-sableuse
de couleur bleu-gris). Prélevée sous la couche de terre arable, la
terre à construire était
disposée en tas à l’emplacement même du chantier, à proximité
d’un fossé pour les besoins d’approvisionnement en eau. Mais
également, dans bien des cas, les bâtisseurs récupéraient les
matériaux d’une bourrine effondrée, tant la bauge que les pièces
de charpente. Une fois détrempée, la terre était
foulée aux pieds par les hommes eux-mêmes ou par des animaux
(bovins), puis
retournée régulièrement à l’aide d’une fourche ou d’une
fraïe (pelle)
jusqu’à obtenir une matière homogène. Au cours de cette
opération, l’ajout de sable prélevé dans les dunes avoisinantes
permettait
d’alléger la terre, réduisant ainsi le retrait provoqué au
séchage. La préparation obtenue devait
être suffisamment souple pour y inclure des fibres végétales :
foin, paille et rouche (roseau
du marais), destinées à armer
et stabiliser le mélange. Cette dernière opération permettait
alors de façonner, à l’aide de la fourche à bigôter, des
moellons de terre, les bigôts, éléments de base servant à édifier
les murs. Ces derniers étaient
alors assemblés en assises, les levées, qui mesuraient
au plus cinquante centimètres de haut et environ soixante
centimètres de large. La première assise était généralement
disposée à même le sol. L’excédent de terre provoqué par le
tassement des levées était récupéré à l’aide de la fourche et
placé au sommet du mur à la fin de la journée de travail.
Après
quelques jours, nécessaires au séchage, les constructeurs
préparaient à nouveau la terre afin de répéter l’opération.
Les gouttereaux étaient
ainsi élevés jusqu’à une hauteur approximative d’un mètre
quatre-vingts, tandis que pignons et murs de refends peuvaient
atteindre une hauteur de quatre mètres. Les encadrements des portes
et fenêtres étaient
posés au fur et à mesure que s’élevaient
les murs, dans lesquels on effectuait des réserves comprenant appuis
et linteaux. La pièce commune recevait généralement deux portes
pleines et une fenêtre à quatre carreaux. Les huisseries étaient
simplement montées sur pivots. La famille et les proches
participaient
aux travaux, tandis qu’une seule personne était
chargée d’élever les murs. Une journée de travail suffisait
pour mettre en forme une levée qui concerne l’ensemble des murs du
bâtiment : gouttereaux, pignons et murs de refends, de manière
à assurer une meilleure cohésion entre eux. La construction des
murs s’étalait ainsi durant un mois ; généralement
entrepris au printemps, elle bénéficiait
de conditions climatiques optimales pour le séchage de la terre. Les
murs des bourrines étaient
pour la plupart posés à même le sol, sans fondations ni
soubassements. Parfois les constructeurs creusaient
une tranchée d’une vingtaine de centimètres dans laquelle ils
plaçaient
la première levée de bigôts.
Dans
les bourrines élevées aux abords de secteurs plus riches en pierre,
on a su tirer parti de cette proximité. On observe en effet, sur
quelques maisons et dépendances, des solins appareillés en moellons
de calcaire ou en galets provenant de la plage. Ces derniers
dépassent rarement 40 cm de hauteur, mais ils permettent sans aucun
doute d’isoler le mur en bauge des remontées, par capillarité, de
l’humidité du sol si préjudiciable aux murs en terre.
Il
était
nécessaire de protéger les murs du vent et de la pluie, dont les
effets d’érosion étaient
accentués du fait de l’absence d’arbres dans certaines parties
du marais de Monts. Aussi avait-t-on
pris autrefois l’habitude de placer des claies de roseau, les
fretis, sur les parois les plus exposées. On appliquait
aussi un enduit de terre et de sable sur les faces intérieure et
extérieure des murs recevant un chaulage. Bien que pratiqué depuis
fort longtemps à l’intérieur de la pièce habitable, le chaulage
des murs extérieurs semble n’avoir été pratiqué que depuis le
début du siècle.
L’élément
indispensable de la pièce habitable sont
la cheminée, elle aussi, construite en terre, adossée
à un des murs-pignons, la hotte est faite d’un mélange de terre
et de foin appliqué sur une armature en branches, l’ensemble
est recouvert d’un enduit et chaulé tout comme les murs de la
pièce. Et, le four
comprend une masse, construite en bigôts, qui supporte la sole,
elle-même couverte par la voûte. La sole, initialement en bauge,
fut progressivement remplacée par des carreaux de terre cuite, moins
fragiles, la
voûte est constituée de bigôts de terre et foin, façonnés à la
main sur un moule en sable. Son extrados est protégé par un toit de
roseau que porte un mur de bauge ou de simples poteaux de bois, le
four à pain, adossé au mur-pignon sur lequel s’élève la
cheminée, est accessible depuis la pièce habitable.
Le
bois étant quasi inexistant dans le marais, les éléments de
charpente provennaient
le plus souvent de remplois divers ou de bosquets d’ormes, de
saules et de peupliers. Plus tard, la forêt de Monts, plantée au
milieu du XIXe siècle sur les dunes des communes littorales, permit
un approvisionnement plus aisé en bois (pin maritime).
La charpente était
posée sur les murs en terre qui en supportaient tout le poids. Les
constructeurs n’utilisaient
pas de sablières censées en répartir les charges. Les chevrons
étaient pris dans la bauge lors d’une opération de remplissage
entre murs et charpente appelée arasure. Seule la pièce la plus
importante, la ferme, repose parfois sur un poteau de bois placé
dans la maçonnerie lors de l’édification des murs.
L’entrait,
généralement incurvé, facilitait
le passage des habitants au centre de la pièce. Le tirant, les
arbalétriers également courbes dans la plupart des cas observés et
le poinçon étaient
assemblés de manière rudimentaire à tenons et mortaises. Cette
opération était
généralement confiée à un charpentier. Les pannes, chevrons et
liteaux, simples branches et troncs écorcés, étaient
assemblés par le propriétaire qui liait ces pièces grâce à des
liens de bois (saules ou jeunes pousses d’orme). Une croupe placée
sur le pignon ouest offrait
une meilleure résistance aux intempéries et permettait
le plus souvent d’organiser l’étable autour d’un poteau
central qui, en forme de fourche dans sa partie supérieure, recevait
la panne faîtière.
Souvent
interdit à cause des risques d’incendie en milieu urbain et freiné
par la mécanisation de l’agriculture, l’usage du chaume avait
progressivement diminué. Considéré comme la couverture la plus
courante depuis les Gaulois jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, le
chaume a perduré dans les zones de marais et marécages où
l’exploitation de la matière première a été possible plus
longtemps qu’ailleurs.
Les
espèces végétales utilisées dans le marais pour couvrir les
bourrines diffèrent selon la localisation de la construction. On
utiliserait
volontiers des végétaux tels que le phragmite et la massette dans
le marais doux, le scirpe maritime dans le marais saumâtre. Le
roseau ou phragmite commun se récolte sur les bords des canaux et
dans les roselières du marais doux. Sa tige, terminée par une
panicule, était
utilisée pour sa rigidité et sa longueur entre
de 1 à 3 mètres. Il est présent dans la majorité des couvertures
des bourrines du marais de Monts.
Prélevés
dans des roselières, d’anciens marais salants ou sur les bords des
principaux canaux et fossés, les
végétaux étaient
récoltés à l’aide d’une faucille, puis nettoyés et posés au
sol en javelles pour former gerbes. Il convenait
par la suite de les mettre
en gerbes et de les assembler en piles, sortes de meules coniques
destinées au stockage, ou bien de les acheminer à proximité du
chantier, assemblées en mouches. Récolté le plus souvent par
l’habitant lui-même, le roseau pouvait
également faire l’objet d’un commerce.
La
pose de la couverture des bourrines était
confiée à un spécialiste. D’abord reconnu pour son savoir-faire,
le bourrinour est devenu à partir du début du XXe siècle un
artisan spécialisé. Travaillant seul, il œuvrait
à partir du mois d’octobre jusqu’au printemps, le commanditaire
fournissant la matière première. Ce dernier pouvait
également participer aux travaux en procédant à
l’approvisionnement du chantier. Le savoir-faire nécessaire à la
bonne exécution de ce mode de couverture se reflétait
dans la spécificité de l’outillage. Un
débordant de 15 centimètres
environ du mur de bauge, le chevron permet de fixer sur un liteau
placé à l’extérieur du mur une menoïlle liée qui enfourche ce
dernier. Ce montage est appelé la goubleture. La saillie ainsi
obtenue en posant les premiers roseaux sur la goubleture, est
d’environ vingt centimètres, ce qui permettait de diriger le
ruissellement loin du pied de mur.
Dans
le marais, la bourrine était
principalement implantée le long des voies de communication et
notamment sur les délaissés de charrauds. Son constructeur veillait
à choisir un endroit plus ou moins surélevé afin de limiter les
inconvénients des inondations. Les Maraîchins prenaient soin
d’orienter leurs maisons de manière à bénéficier de
l’ensoleillement de la façade, mais aussi de limiter les
dégradations occasionnées par le vent ; la disposition de la
croupe généralement dirigée vers l’ouest en est un témoignage.
 |
Avant la grêle, huile sur toile, Charles Milcendeau, 1917 © Musée Vendéen de Fontenay-le-Comte (Photo du Net)
|
 |
La bourrine vendéenne (par VICTORSERGE) (photo du Net) |
« Le bonheur, c'est une maison riante au toit de chaume couvert
de mousse et d'iris en fleurs.»
-Les femmes (1853)-
Jean Baptiste Alphonse Karr (1808-1890), romancier et journaliste
français.
Aujourd’hui l’atmosphère est orageuse, une couverture nuageuse recouvre le ciel et dissimule le soleil. Des gouttes d’eau tombent parfois sans humidifier le sol. Ce vilain orage prendra le large en début de soirée. Demain, sous le soleil, nous profiterons une fois de plus d’aller faire un tour sur le marché et la plage de Notre-Dame-de-Monts, avant de plier, ranger, nettoyer…
Comme
vous l’avez certainement
compris, cette escapade était
celle d’un repos pour nous ressourcer dans cette région que je connais
très bien. Je n’ai pas ou peu partagé l’historique ou la
géographie des lieux puisque je l’avais déjà fait dans des
articles précédents. Il était plus judicieux de me taire que de
passer pour une rabâcheuse.
À
demain, pour les dernières aventures et découvertes de ce
périple !